Le quatuor français Birdy Nam Nam avait bousculé beaucoup de monde en 2009 en
sortant lʼalbum Manual for Successful Rioting : fini, lʼabstract hip-hop espiègle et enfumé de
leur premier disque, et place à l'incandescence de lʼélectro saturée qui dévastait alors les
scènes du monde entier. On savait déjà que le groupe prenait toute son ampleur sur scène,
et la tournée qui suivit ne fit que confirmer cette certitude : derrière leurs platines, Crazy B,
Pone, Need et LilʼMike jouent comme un groupe de punk qui aurait plus écouté Bambaataa
et les Daft que Clash et les Pistols.
En 2010, BNN remporte une Victoire de la musique (catégorie musique électronique) puis
retourne en studio pour enregistrer un troisième disque. Pas question de sʼendormir sur leurs
lauriers : ils se mettent au travail avec en tête lʼidée dʼun album qui pourrait une fois de plus
surprendre leur public, en cognant moins et en cherchant peut-être vers des choses moins
dancefloor. Le hasard fait par ailleurs que leur nouveau studio côtoie celui de Para One,
producteur parisien aussi à lʼaise en techno quʼen funk digital, en rap ou en musiques de
films. Les cinq garçons tiennent de leurs racines hip-hop communes un goût prononcé pour
la synthèse spontanée des genres, et à force de fraterniser à la machine à café, conviennent
de travailler ensemble sur ce nouveau disque. En trois mois, après maints allers et retours
entre les deux studios et les cinq cerveaux, le travail est fini et reflète cette ébullition créative
accélérée : Noble Hearts, Jaded Future est un album qui donne beaucoup, et qui regarde un
peu partout sans sʼinterdire quoi que ce soit.
Le tout fourmille donc dʼidées, de climats et de détails parfois très hétérogènes, mais jamais
décousus. Cʼest presque miraculeux : conçu en un laps de temps si bref, lʼalbum semble
pourtant être le fruit dʼune longue maturation tant il réussit à panacher les registres. Cʼest
peut-être que la maturation a eu lieu bien plus tôt, et que ce disque nʼest que le fruit dʼune
bonne dizaine dʼannées (voire beaucoup plus, pour le vétéran Crazy B) passées à absorber
du son en continu. BNN et Para One ont updaté ensemble ce qui faisait lʼessence même du
hip-hop à ses débuts : ce réflexe hédoniste de mêler des références extrêmement variées
mais issues du même bouillonnement créatif. Et du coup Defiant Order raconte finalement
une sorte dʼhistoire parallèle et utopique du hip-hop, dʼun hip-hop qui ne se serait pas replié
sur son patrimoine historique, mais qui aurait au contraire essayé de fricoter avec des
syncopes vocales R&B, des synthés space-jazz, des cassures digitales IDM, ou des
rythmiques chaloupées venues de la house et de la techno US. Le défoulement cathartique
de Manual For Successful Rioting a laissé la place à des grooves plus obliques, plus
obsédants. Pas dʼexpérimentation prétentieuse pour autant, les membres de BNN ne se
prennent pas pour des savants de la musique de club : cette prise de risque leur permet
juste de saisir des idées de morceaux toujours plus jouissives, toujours plus excitantes.
A lʼheure où lʼon sature de cette pop prétendument innovante parce que produite par des
artistes « pointus », Defiant Order apparaît comme un projet rare : un groupe mondialement
connu pour ses performances live et son goût du crossover réussit à sortir un disque radical
et osé, qui ne passera probablement ni en radio ni en télé, et qui pourtant touchera sans
effort son public – il nʼy a plus de masse ni dʼunderground : il y a juste de la bonne musique
et plein de gens pour lʼaimer.