Avant d’aller plus loin, il est peut-être important de rappeler ce qu’est une fanfiction. Wikipédia en donne une définition assez complète : « Une fanfiction, ou fanfic (parfois écrit fan-fiction), est un récit que certains fans écrivent pour prolonger, amender ou même totalement transformer un produit médiatique qu'ils affectionnent, qu'il s'agisse d'un roman, d'un manga, d'une série télévisée, d'un film, d'un jeu vidéo ou encore d'une célébrité ». La fanfiction peut prendre de multiples formes, mais cette définition de base devrait suffire. Récemment, elle a fait parler d’elle parce plusieurs de ses auteurs ont été publiés. Eh oui, Fifty Shades of Grey, de E.L. James, est au départ une fanfiction Twilight, et After d’Anna Todd est une fanfiction inspirée par Harry Styles (des One Direction). Ces publications stéréotypées ne sont d’ailleurs pas représentatives de l’immense éventail de genres (et de sous-genres) de la fanfiction. Et si les médias se moquaient généralement d’une forme d’écriture qu’ils considéraient adolescente, certains font désormais preuve de plus de bienveillance.
Les fanfictions, où le royaume de la liberté créative
Eh non, la lecture et l’écriture de fanfiction n’est pas réservée qu’à de jeunes adolescentes qui souhaitent exposer leurs fantasmes sur la Toile. Pour le comprendre, il suffit de se pencher sur les origines même de la fanfiction, qui existait bien avant Internet. Au XIXème siècle, des suites non officielles du Portrait de Dorian Gray sont parues sous le manteau. Plus tard, les fans de Star Trek ont publié leurs propres histoires dans des fanzines. Et les auteurs de fanfictions, bien que majoritairement féminins, comportent aussi des hommes ! « Les représentations d'auteurs de fanfictions en font des adolescentes et des femmes au foyer, avec l'idée d'une frustration générale de leur vie, qu'elles exprimeraient à travers des fictions qu'elles « souilleraient » presque de leurs gloussements », explique la youtubeuse et blogueuse Dr. Pralinus, que nous avons contactée. Elle rappelle que le showrunner de la série Doctor Who, Steven Moffat, (qui travaille aussi sur Sherlock) était lui-même auteur de fanfictions. Avant de poursuivre : « Il y aurait d'un côté les femmes au foyer et les adolescentes en explosion hormonales qui écrivent des fanfics sur One Direction et Twilight, et de l'autre, une minorité parmi les auteurs de fanfics, les créateurs masculins sérieux qui eux vont se professionnaliser. C'est extrêmement réducteur ».
Effectivement, si la majorité des auteurs de fanfictions sont des femmes, certaines sont étudiantes, d’autres de jeunes actives, ou des professionnelles avec de longues années de travail derrière elles. On peut avoir un aperçu de leurs profils sur un site comme Fanfiction.net, où certains auteurs laissent filtrer quelques informations sur leur activité en-dehors du web. Et si les jeunes actives sont attirées par l’univers de la fanfiction, c’est aussi parce que c’est un milieu où l’autocensure n’existe pas, et où elles peuvent trouver une grande liberté… contrairement à ce qui peut se passer dans leur vie professionnelle. « Sheenagh Pugh, dans The Democratic Genre, met aussi en avant la notion de gratuité et l'absence de compétitivité dans l'univers de la fanfiction, poursuit le Dr Pralinus, ce qui permettrait à des femmes non éduquées dans ce but de se lancer plus facilement ». Loin des contraintes, la fanfiction permettrait donc d’écrire sans tabou, et en toute liberté. Ce qui n’empêche pas les fanfictions les plus lues d’obéir à des stéréotypes. Pourtant, c’est loin d’être une tendance générale.
Des histoires qui contribuent à faire évoluer la pop culture
Si After et Fifty Shades of Grey sont publiées, c’est parce qu’il s’agit de deux des fanfictions les plus lues sur la Toile. Elles sont pourtant loin d’être les meilleures. « Stylistiquement, ça se lit même si le style est blanc, mais les histoires restent simples voire creuses, confirme le Dr. Pralinus. Les textes plus sophistiqués sont souvent moins lus, parce qu'un lecteur de fanfiction moyen ne va pas forcément chercher à se retourner le cerveau. Il y a aussi une notion très assumée et décomplexée de lecture plaisir ». D’où les best-sellers de E.L. James et Anna Todd qui, même si leur qualité littéraire est discutable, rencontrent un grand nombre de lecteurs.
Comme le souligne un article de Rue89 paru en mai 2016, la fanfiction permet d’inventer des héros non blancs, gays, ou de transformer les héros des œuvres originales en héroïnes. Ce qui finit par influencer les scénaristes de séries ou de films, qui prennent en compte l’engouement des fandoms. Ainsi, la pièce Harry Potter and the Cursed Child, jouée l’an dernier, a vu une actrice noire interpréter Hermione Granger. « Plus que les fanfics, les fandoms influencent clairement la production actuelle, complète le Dr. Pralinus. Les mangakas font du fanservice depuis des années en se fiant directement au courrier de leur lectorat, et avec la puissance des réseaux sociaux, on voit la voix des fans amplifiée. Quand un tas de gens voient Sherlock avec Watson, il est de l'intérêt des créateurs de la série de les satisfaire avec, hélas, souvent juste quelques clins d'œil et beaucoup de Queerbaiting. »
La publication des fanfictions et l’imagination des fans influencent donc directement la pop culture et, en brisant les tabous, contribuent à faire évoluer les clichés. Et si certains jeunes actifs peuvent alimenter leur tumblr, contribuer à agrandir les plateformes de fanfictions comme fanfiction.net, Wattpad ou Archive of Our Own, il est encore difficile de clamer qu’on aime la fanfiction. Si l’image du genre se démocratise, ils pourront peut-être clamer haut et fort leur passion pour cet univers tentaculaire.
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