En ce mois de novembre où l’on célèbre le centenaire de la signature de l’Armistice de la Grande Guerre, le studio anglais Aardman, auteur de Wallace & Gromit, Chicken Run, Shaun Le Mouton ou encore Cro Man, et le développeur français DigixArt nous proposent 11-11 : Memories Retold, un jeu vidéo qui traite que la Première Guerre Mondiale sur PS4, Xbox One et PC.
Dans cette équipe d’une trentaine d’individus, on trouve Yoan Fanise, à l’origine de l’excellent Soldats Inconnus : Mémoire de la Grande Guerre, sorti dès 2014 pour le compte d’Ubisoft ; le jeu traitait de la même thématique sur PS4, Xbox One, PS3, Xbox 360, PC, iOS, Android et depuis peu sur Switch (on vous le recommande chaudement).
DEUX HISTOIRES DE GUERRE
Mais revenons à 11-11 Memories Retold. Il s’agit d’un jeu narratif qui prend aux tripes tout en nous informant, en nous faisant réfléchir et en transmettant des éléments marquants de cet affrontement aux nouvelles générations ; le jeu étant plutôt grand public, malgré son contexte, mais nous y reviendrons.
On suit l'épopée de deux protagonistes par le biais d’une narration en “miroir” (on alterne les héros, une séquence répond à l'autre) durant plusieurs mois. Elle débute le 2 novembre 1916 jusqu'à la signature de l’Armistice en 1918. Pour autant, 11-11 Memories Retold ne retrace pas la guerre précisément, il nous propose deux histoires dans la guerre, fictives, qui montre les stigmates d'un tel conflit au niveau de la vie des citoyens.
D’un côté, on contrôle Harry est un photographe canadien, embarqué pour la France pour séduire son amie. De l’autre, on incarne Kurt, un technicien allemand à la recherche de son fils envoyé au front qui ne donne aucune nouvelle. On alterne régulièrement entre les deux protagonistes, via une magnifique transition visuelle, parfois renforcée par une transition par le sens (analogie), très ingénieuse. Chaque “héros” a ses raisons d'aller à la guerre, ses aptitudes professionnelles, ses aspirations, ses doutes propres.
Pas de parti pris entre les deux camps, l'équipe a tenu à consulter des historiens de chaque camp, d'où la symétrie du titre “11-11” et du visuel de l’écran principal du jeu. Il n'y a pas de gentils ni de méchants, seulement une multitude de vies chamboulées par l'horreur de la guerre. Et si les événements du scénario ne sont pas forcément tous rationnels, l'authenticité est globalement au rendez-vous, le récit est poignant, onirique par moment (ce qui fait penser à une sorte de fable racontée), et intéressant.
UNE OEUVRE D’ART LUDIQUE
Ce qui saute immédiatement aux yeux dans 11 - 11 Memories Retold, c'est son style graphique impressionniste sublime et jamais vu, s’inspirant notamment de certaines toiles de Monet et Van Gogh. Il ressemble à une peinture "mouvante" où les couleurs se mêlent et tourbillonnent en temps réel, où les contours de chaque élément à l’écran sont indistincts, remplacés par des couches de peintures brossées, étalées.
Loin de rendre la guerre belle, ce style graphique a le mérite de la rendre plus “digeste”, comme s’il s’agissait d'un récit conté, là où une image réaliste aurait pu être rapidement malaisante. Le récit n’en reste pas moins palpable et impactant, même s’il édulcore toute violence inutile. Et cela, pour rester accessible au plus large public possible (le jeu est conseillé au plus de 12 ans), on peut donc le partager sans problème avec des ados afin de leur transmettre certains éléments du conflit par un biais ludique.
Le rendu donne l'impression de jouer un souvenir de guerre : on se souvient des éléments majeurs et des émotions ressenties avec précision, les images sont, elles, un peu floues, indistinctes. On ne se rappelle pas forcément de la couleur des yeux de certaines personnes ou de tous les détails des paysages rencontrés parfois furtivement, mais des lieux, de l'ambiance et des situations dans leur globalité.
Le parti pris esthétique de DigixArt et Aardman matérialise cette vision de fort belle manière et, à contre-courant de nombreux jeux actuels de plus en plus photo-réalistes, il laisse une bonne part à notre imagination. On note bien quelques bugs graphiques ou éléments un brin disgracieux (certains visages ou contours baveux, certaines animations simplistes) et de petits soucis de caméra, cependant, rien de rédhibitoire : l'ensemble reste parfaitement jouable et tout à fait honnête de bout en bout.
Et si ce choix artistique ne laissera personne indifférent (certains adhèrent, d’autres pas), de notre côté, nous trouvons le jeu visuellement éblouissant et saluons ce choix graphique si culotté, bien rare dans une industrie qui tend un peu trop à limiter les risques et à rester consensuelle. Pour savoir si vous êtes “compatible” avec ce style visuel, le mieux, c’est de regarder notre vidéo de gameplay exclusive, réalisée par nos soins à partir de la version PS4.
Vidéo : 6 minutes de gameplay avec 11-11 Memories Retold
N’oublions pas la partie sonore, impressionnante d’efficacité. Les compositions musicales d’Olivier Deriviere s’avèrent remarquables de justesse, très agréables à écouter, et collent parfaitement aux différentes situations. En un mot : la bande originale est vraiment une petite merveille. Les doublages des protagonistes majeurs sont quant à eux soignés - les autres personnages sont moins bien lotis -, Harry étant incarné par Elijah Wood (Le Seigneur des Anneaux) et Kurt par Sebastian Koch (La Vie des Autres).
Même les bruitages ont bénéficié d’un soin tout particulier, donnent de la vie, de la consistance et de la crédibilité à l'ensemble ; avec en prime une belle spatialisation des sons en stéréo. Du très bon boulot, à l’image de la superbe musique qui nous accueille dès l'écran titre. On vous conseille donc d’y jouer avec un casque ou un kit son pour en profiter au mieux.
UN GAMEPLAY SIMPLE, PERFECTIBLE MAIS TOUCHANT
Comme pour le rendu visuel atypique, le gameplay ne plaira pas à tout le monde. En effet, les actions sont basiques, voire souvent simplistes : avancer dans des niveaux assez fermés, prendre une photo, pousser une caisse, parler à des personnages non joueurs (PNJ), appuyer frénétiquement sur une touche, etc.
11 - 11 : Memories Retold fait même preuve de quelques maladresses au niveau du rythme (dans la première partie du jeu), de certains enchaînements parfois surprenants, d’une redondance notable dans les complaintes des personnages non joueurs (qui cassent un peu l’immersion et demeurent assez stéréotypées : “J’ai faim”, “Ma femme me manque”...) et quelques lourdeurs dans sa maniabilité. En comparaison, le jeu Soldats Inconnus : Mémoire de La Grande Guerre paraît plus “ludique”, ingénieux dans ses mécanismes et plus élaborés dans ses énigmes.
Pour autant, le menu proposé est suffisamment varié pour se laisser déguster sans déplaisir, avec des ingrédients d’exploration ou d’infiltration, des petites énigmes (jamais trop complexes), quelques parties de bataille Corse, de petites phases de coopération et, surtout, des choix moraux. En effet, comme beaucoup de titres narratifs (Life Is Strange, les jeux de Quantic Dream, les Walking Dead de Telltale), 11-11 Memories Retold se concentre sur les sentiments qu’il procure et l’implication du joueur dans l’histoire, qui défile tel un long-métrage, assez dirigiste malgré les embranchements possibles.
Ainsi, le jeu nous propose de belles surprises, des moments forts emplis d'émotions - pas seulement de la tristesse d'ailleurs - et de profonde humanité. On pense notamment à certains choix à faire en temps limité et aux phases où il faut écrire une lettre à ses proches. Vous pouvez choisir de leur dire la vérité ou de mentir, soit pour leur éviter tout stress inutile soit pour enjoliver la réalité... Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, seulement celles qui vous correspond le plus ; sachant que chacune d’elles aura une conséquence par la suite.
Bien aidé par son ambiance prégnante, très inclusive et immersive, on passe ainsi outre le côté basique des actions et on se laisse porter par l’histoire autant que par cette expérience impactante d’un point de vue émotionnel.
Des bonus à dénicher et d'autres aboutissements à trouver
Et si l’on finit l’aventure assez rapidement par rapport à certains autres jeux (comptez entre 5 et 8h en fonction du temps passé à rechercher des bonus), le jeu a le mérite d’être vendu à un prix assez doux - environ 30 euros - et de disposer d’une assez bonne rejouabilité.
11 - 11 Memories Retold contient effectivement des embranchements multiples, des fins alternatives et un bon lot d’éléments dissimulés dans les niveaux ; certaines actions sont notamment nécessaires pour avoir accès à tous les choix moraux. Comme le jeu est découpé en chapitres, on peut reprendre directement un chapitre pour changer ses choix d'action ou, tout simplement, pour dénicher les bonus qui nous manquent.
De même, dans la plupart des chapitres, on choisit au début d'incarner en priorité un des 2 protagonistes. Refaire un chapitre avec un autre héros nous offre un léger éclairage supplémentaire sur ce qui se passe “de l'autre côté” et la possibilité de récupérer d'autres objets cachés. Et si vous n'êtes pas un complétiste acharné, rassurez-vous : l'histoire reste parfaitement compréhensible et propose, quoi qu'il arrive, d'incarner les deux héros - pas dans le même ordre - sur le "premier run".
Vous l’aurez compris, s’il est perfectible, le jeu de DigixArt et Aardman n’en demeure pas moins assurément vertueux, globalement prenant, et d’actualité, car, outre le devoir de mémoire, 11-11 Memories Retold nous met face à des enjeux, des sentiments et des types de conflits qui trouvent écho dans notre histoire moderne. Il mérite donc clairement votre intérêt.
VERDICT
Vertueux, artistiquement audacieux et profondément sain, 11-11 Memories Retold est un jeu rare et précieux qui se sert du jeu vidéo pour traiter d’un terrible sujet historique de manière constructive, impliquante et accessible. Servi par un récit puissant et des choix artistiques culottés, qui compensent largement quelques maladresses de construction, c’est une oeuvre vidéoludique que l’on vous conseille si vous êtes intéressé(e) par les jeux narratifs autant que par les jeux traitant de la guerre. Une bonne surprise.