Une série ouvertement fictionnelle
Au moment de l'annonce de son lancement par Canal+ en 2015, "Versailles" a beaucoup fait parler d'elle. Dans un premier temps, le département Création Originale de la chaîne cryptée avait fait miroiter un budget colossal pour une série française (27 millions d'euros, un record pour l'époque) et un casting calibré à l'échelle européenne. Co-production franco-canadienne, la série promettait de voir se rencontrer des acteurs de tous horizons, venus du Royaume-Uni (dont l'interprète de Louis XIV, George Blagden), de France, du Canada et plus encore. Cela dit, un choix d'une telle ambition mettait en lumière une autre question, toujours abordée au sujet des séries historiques, mais plus particulièrement ici : celle de la fidélité historique.
Est-il possible qu'une série tournée en anglais avec un casting principalement anglophone puisse être fidèle à l'Histoire de France et à celle du Roi Soleil ? D'autant que sur le papier, "Versailles" fait la part belle à des intrigues de cour plutôt rock'n'roll, faites de complots, de violence et de scènes sexuelles assez crues. De plus, chaque saison se structure autour d'une affaire criminelle (les usurpateurs de titres dans la première saison, l'affaire des poisons dans la deuxième et l'homme au masque de fer dans la troisième). L'intrigue policière emmène alors la série sur le chemin du polar.
De nombreuses libertés
Plus encore que d'autres séries historiques, "Versailles" s'amuse donc à détricoter l'Histoire pour écrire sa propre histoire. C'est ainsi qu'on découvre en se renseignant un peu que plusieurs personnages secondaires de la série de Canal+ n'ont en réalité jamais existé et sont de pures créations de fiction. C'est le cas par exemple de Fabien Marchal (Tygh Runyan), chef du service de sécurité de Louis XIV, personnage inventé de toutes pièces, d'autant que sa fonction ne correspond à aucune fonction officielle à la cour de France du XVIIe siècle.
Pour d'autres personnages, le flou historique qui règne et l'évolution des recherches au fil des décennies font que les scénaristes ont dû opérer des choix pour réécrire leur place dans l'Histoire. On pense ainsi à Claudine Masson (Lizzie Brocheré), fille du docteur Masson, qui finit par prendre sa place comme médecin personnel du Roi. S'il est possible que le personnage ait existé, il est cependant quasiment impossible de penser que les femmes pouvaient exercer la médecine à Versailles. À l'inverse, certains épisodes, comme celui du "bébé noir de la reine" évoqué dès le pilote,ont été longtemps historiquement contestés, mais ont vraiment eu lieu et restent méconnus du grand public.
Mais le principal parti pris artistique en termes de libertés historiques repose sur le caractère même du roi Louis XIV dépeint dans la série. En effet, "Versailles" débute en 1667, alors que le roi n'a que vingt-huit ans. Sur le trône de France depuis ses cinq ans, trône qu'il occupe depuis la fin de la régence menée par sa mère Anne d'Autriche qui meurt en 1651, il est montré sous les traits de George Blagden comme un roi en devenir et encore hésitant, troublé par le souvenir douloureux de la Fronde. Mais en 1667, si le roi est encore jeune, il a cependant déjà à son actif quelques grands succès militaires, notamment les premières batailles de la guerre de Dévolution. Le Louis XIV du début de la série ressemble en réalité plutôt au Louis XIV du début de la décennie 1660.
Parler d'hier avec la langue d'aujourd'hui
Mais ce parti pris s'explique par le parti pris assumé par la production de créer une série qui soit une pure oeuvre de fiction, et non pas une série docu-fiction ou à quelconque portée documentaire. Un parti pris qui permet non seulement d'orienter la série vers un ton plus cru et provocant, mais aussi de prendre, pour les besoins de l'intrigue, certaines libertés historiques. Néanmoins, il fallait garder un tant soit peu de crédibilité à l'écran. Comme cela se fait régulièrement, les producteurs de "Versailles" ont fait appel à un conseiller historique pour créer un Versailles ressemblant à celui de la France des années 1660, période où débute la série.
C'est à Mathieu Da Vinha, directeur du centre de recherche du château de Versailles et auteur de plusieurs ouvrages sur la vie de la cour sous Louis XIV, qu'a donc incombé la tâche de "crédibiliser" historiquement la série de Canal+. Comme il l'expliquait à l'époque dans une interview à Paris Match, le principe de ce genre de série est moins d'éduquer le spectateur sur la période de l'Histoire concernée, que de divertir et de donner envie de se renseigner sur elle : "C'est un très bon divertissement. J'espère que les gens en le regardant vont se rendre compte que ce n'est pas la réalité, et que ça va leur donner envie d'en savoir plus sur Louis XIV".