Comme vous le savez sans doute, le second chapitre du DLC The Ancient Gods de DOOM Eternal est dès à présent disponible sur consoles et PC. La saga DOOM étant connue pour ses bandes son redoutables, où se cotoient métal et électro, nous avons profité de cette occasion pour partir à la rencontre de Andrew Hulshult (Quake Champions, Wrath: Aeon of Ruin...) et David Levy (Dawn of Ascencion, Exotic Matter...), les deux compositeurs qui ont pris le relais de Mick Gordon, l'homme à l'origine de la B.O de DOOM Eternal. Nous leur avons posé plusieurs questions afin d'en apprendre plus sur leur implication dans le projet, mais aussi découvrir un peu plus le métier de compositeur de musiques de jeu.
Quelle a été votre réaction lorsque Bethesda vous a contacté pour participer à la bande son des DLC de DOOM Eternal ?
Andrew Hulshult : C’était complètement fou ! Pour quelqu’un comme moi, qui a travaillé pendant longtemps dans le circuit indépendant, être contacté par l’un des plus gros studios/éditeurs de jeux, c’est un peu comme : “Whoa, oh mon dieu, qu’est ce qui est en train de se passer ?”. C’est vraiment cool et heureusement, ça a été une incroyable expérience pour nous deux. Et toi David ?
David Levy : La première fois [quand Bethesda m’a annoncé son intérêt pour mon travail] je me suis dit “Oh mon Dieux c’est génial, mais je ne vais jamais avoir le boulot à L.A”. Du coup, lorsque l’on m’a annoncé que c’était bon, j'ai pensé : “Au mon Dieu, je l’ai ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?”. L’excitation, la stupéfaction et la panique, tous ces sentiments sont arrivés en même temps. C'était bouleversant. Ca faisait beaucoup d’émotions, mais c’était très excitant !
Passer après Mick Gordon (le compositeur original de DOOM Eternal) n’a pas dû être une tâche aisée. Comment avez vous abordé ce projet ? Vous êtes partis d’une page blanche ou vous avez plutôt souhaité prolonger le travail de Mick ?
David : Et bien, Chad Mossholder (le directeur audio), Hugo Martin (directeur créatif chez id Software) et Marty Stratton (producteur exécutif) nous on dit qu’il ne voulait pas une réplique de Mick Gordon. Mick a fait un travail fantastique, et nous sommes tous les deux fans de son œuvre. Nous n’avons pas été engagés pour reproduire ce qu’il a fait auparavant, mais plutôt pour rester fidèle à ce qui a été fait avant nous, tout en ajoutant notre touche personnelle.
Andrew : On est vraiment des fans de Mick, j’ai particulièrement aimé son travail sur Killer Instinct à l’époque et quand j’ai su qu’il participait à DOOM Eternal je me suis dit que c’était vraiment cool. Mais oui, à chaque fois que l’on se rend en studio, on part plus ou moins d’une page blanche. Nous pouvions faire ce que l’on voulait, mais nous souhaitions être sûrs que l’on respecte tout ce qui a pu être fait avant nous. Car, en tant que fans, on sait ce que l’on veut entendre dans le jeu et nous espérons que les joueurs apprécieront tout autant.
Comment se passe la création d’une musique de jeu ? Est-ce que vous composez un titre en vous appuyant sur le travail des développeurs ou bien vous commencez par créer un son de toute pièce, avant de l’adapter au level-design ?
Andrew : La plupart du temps, on travaille avec un script ou bien des extraits vidéo des niveaux, fournis par Chad, ainsi que des explications sur les choix des développeurs. À chaque fois que l’on m’a envoyé quelque chose, le développement était déjà bien avancé. Pour faire simple, on nous envoie une vidéo du niveau sur lequel on travaille, d’environ 45min-1h, qui explore chaque recoin de la map afin de nous montrer les sections de combat. C’est un peu comme puzzle où il faut passer en revue les principales mécaniques du niveau.
Grâce à ça, on peut déjà avoir une bonne idée de ce que l’on doit faire. Dès fois, nous commencions, du moins pendant les deux premières semaines, sans avoir de documents ou vidéos, mais après ça, nous avons rapidement reçu des visuels du jeu.
David : On avait des “concept arts” que nous avions reçus auparavant. Ce sont plutôt les extraits des combats qui ont mis du temps à arriver. Mais ça ne posait aucun problème, car nous avions bien discuté avec Chad, et nous avions déjà une bonne idée de ce qu’il fallait apporter en termes d’énergie et de rythme.
Du coup, on a commencé à s’y mettre, mais il arrive par moment qu’une musique, qui sonne bien lorsqu’on l’écrit, ne soit pas du tout adaptée aux extraits vidéos que l’on nous envoie. Le tempo peut être trop lent ou trop rapide, ou bien alors la musique est trop fournie et prend le dessus sur le sound design du jeu. De ce fait, nous devions revenir en arrière et modifier des choses. Finalement, les extraits vidéo sont essentiels lorsque l’on travaille sur ce type de projet.
Andrew : En parlant des artworks, j’avais oublié à quel point ils étaient géniaux. Je crois qu’on nous avait envoyé le travail de Kullen Geller et c’était vraiment brillant !
David : C’est génial, car en voyant les artworks ou les vidéos, tu peux repérer quelques détails et tenter de les incorporer à ta palette de sons. Si, par exemple, il y a de l’électricité ou quelque chose du même genre, tu sais que tu peux essayer d’ajouter quelque chose de similaire dans ta musique, et ce, dès les prémices de la production.
Les concept arts et les extraits ont donc un impact sur votre travail, mais l’inverse est-il également possible ?
Andrew : Hmm, je ne pense pas que ça se passe comme ça. Enfin, ce pourrait être possible s’il s’agissait d’un jeu complet, où tout le monde part d’une page blanche. Mais dans cette situation, comme il s’agit d’un DLC, tout était déjà bien établi, ils [les développeurs] ont travaillé sur le projet plusieurs mois avant notre arrivée.
Vous êtes tous les deux du Texas, avez vous déjà eu la chance de travailler ensemble auparavant ?
Andrew : Non jamais, c’est la première fois.
Comment s’est passée votre collaboration ? Avez-vous eu une influence l’un sur l’autre ?
Andrew : Tout à fait ! Il y avait de nombreux échanges entre David et moi. David est incroyablement talentueux. Son travail sur UAC Atlantica (l’un des niveaux du premier DLC The Ancient Gods) était vraiment génial. D’ailleurs, lorsque l’on travaillait ensemble. Je lui avait dit : “je ne vais pas te mentir, je suis un poil jaloux de ton travail sur UAC Atlantica, c’est vraiment bien !”.
Du coup, lui aussi fait la même chose avec mes compositions. C’est vraiment sympa de pouvoir échanger avec quelqu’un comme ça, car on n'a pas toujours la chance d’avoir une telle opportunité dans cette industrie. Je suis très content que Chad ait décidé de nous faire travailler ensemble.
David : Travailler avec Andrew, c’était monumental. Que soit pour ma "santé mentale" ou ma dignité, à force de rester enfermé à la maison, il a toujours réussi à me calmer lorsque je devenais trop anxieux. Surtout qu’avec cette histoire de Covid, nous devions travailler depuis chez nous et nous ne pouvions pas sortir de chez nous. Et comme nous ne pouvions pas aller au bureau, il était difficile de pouvoir parler à qui que ce soit.
Du coup, avoir Andrew à mes côtés pour discuter du travail ou de quoi que ce soit d’autre, ce fut un réel avantage. En plus, nous n'arrêtions pas d’échanger nos idées tout au long du processus de création. On le fait encore maintenant, et je pense que l’on continuera par la suite. On est tous les deux des passionnés, ce qui fait qu’on peut parler pendant des heures de musique et de matériel ! (rires)
(En rigolant) Hé [Andrew], n'oublie pas mon virement !
Andrew : Ne t’en fais pas, je t’envoie l’argent juste après ! (clin d’oeil)
Selon vous, de quoi à besoin une musique pour être une bonne musique de DOOM Eternal ?
Andrew : D’agressivité. La musique doit tenir un certain tempo qui fait que lorsque l’on déambule à travers un niveau, on a la sensation d’être un véritable badass. Il faut également pouvoir maintenir une certaine tension.
On peut le faire avec une guitare, un synthétiseur et plein d’autres choses. Mais il y a un ton spécifique et une signature sonore qui sont propres à cette licence. Cela est dû en grande partie au mix entre le sound design du jeu et d’autres éléments plus agressifs, comme des synthés de basses ou des sonorités de métal. Le plus important, c’est qu’à chaque fois que l’on joue, si on sent qu’on est prêt à foncer sur quelqu’un pour le tronçonner (grâce à la musique) le travail est réussi. Je pense que la clé, c’est de maintenir cette tension en permanence.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour créer la musique de DOOM Eternal ?
Andrew : Je pense que c’est un amalgame de tout ce que l’on a pu entendre dans notre vie. Je sais que ce n’est pas original, mais je ne me suis pas lancé dans ce projet en me disant que ça devait sonner comme ceci ou comme cela. Je pense que ce n’était pas le cas pour David également. Nous n’étions pas en train de nous dire :” Hey, tu sais, ce serait sympa si on pouvait avoir un son dans le style XYZ et le mettre dans le jeu”. Je n’ai jamais envisagé cette possibilité, et je peux dire que pour David aussi.
Quand on travaille depuis aussi longtemps sur des films ou des jeux, on ne cherche pas à copier qui que ce soit. En tant qu’artiste, tu recherches ce qui va te combler, quelque chose qui te donne l’impression que ça en valait la peine. Mais bien sûr, tu auras toujours des petites influences. Des trucs que tu as entendu à l’époque, qui émergent, mais tout ça, c’est subconscient.
David : Le truc, c’est que le style de musique établi par Mick Gordon, selon les standards de DOOM, est très particulier. Lorsque l’on écrit nos compositions, il faut faire plein d’essais. Même si je trouve une musique agressive, dans l’univers de DOOM elle doit l’être toujours plus. Il faut se dire qu'il en faut toujours plus.
Le ton et les sonorités de DOOM sont très spécifiques. Beaucoup de sons ne fonctionnent pas avec le jeu. Du coup, on essaie de trouver des manières de créer des musiques qui soient originales et qui ne sonnent pas comme celles de Mick, essentiellement. C'était quelque chose de très difficile à réaliser, mais je pense qu’on a réussi. J’espère que les gens apprécieront !
Concernant le premier DLC, vous êtes partis sur un son plus métal que Mick, qui a utilisé de nombreux éléments électro dans ses musiques. Avez-vous conservé la même idée pour le second DLC ?
Andrew : Je pense que vous avez bien analysé la chose. Effectivement, le premier DLC, avec ses marais de sang, met l’emphase sur les guitares et la batterie. Mais dès que l’on se retrouve près du Holt, les musiques sont plus orientées sound design. Un peu comme le niveau UAC Atlantica qui reprend des sonorités "techno", le tout mixé avec des éléments de métal. Pour être objectif, je pense qu’il [David] avait un bien meilleur mélange que moi. (rires)
Mais cette fois, j’ai un peu changé mon processus. Avec ce DLC, j’ai souhaité intégrer plus efficacement le sound design du jeu dans mes productions, tout en prenant en compte l’aspect métal de chaque son. Tout cela a permis d’obtenir des sons uniques et toujours plus abstraits. Certains sons ne vont pas toujours ensembles, mais d’une certaine manière, on a réussi à les faire fonctionner entre eux. Je ne sais pas comment dire, mais c’est presque industriel, sans pour autant l’être réellement. C’est le résultat des nombreuses expérimentations que nous avons faites. Et à chaque fois, cela a donné quelque chose d’unique.
Ma dernière question risque d’être évidente : Allez-vous travailler sur le prochain opus de DOOM ?
David et Andrew (ensemble) : C’est à vous de nous le dire, nous n’en avons aucune idée !
Andrew : Je pense que ça dépend avant tout des joueurs. Ce serait top, travailler sur les DLC The Ancient Gods a été une expérience incroyable, probablement la meilleure que j’ai vécu. Ce serait un honneur pour nous de pouvoir travailler sur les prochains projets du studio. A l’heure actuelle, nous sommes tout aussi curieux que vous !